19.11.06

Moi, j’aime (pas) la musique

Le croiriez-vous ? Il faut le vivre pour le croire, de fait. Imaginez votre voisin, pas celui d’à côté ou juste du dessous, celui du troisième quand vous payez pour vivre au quatrième, mais sur le palier gauche tandis que vous déboursez une fortune mensuelle pour vivre à droite. Pas un intime, donc. Avançons davantage dans la fantasmagorie. En plus d’avoir la réputation la plus effroyable qu’un mortel puisse avoir dans une cage d’escalier parisien de ce début de XXIe siècle, cet individu, dont la folie pas douce a été jusqu’à faire fuir sa propre moitié, à qui l’on ne saurait reprocher que de l’avoir épousé dans un moment d’égarement que ne peut justifier qu’un extrême dénuement sexuel, et encore, il affiche avec beaucoup d’effets une foi tapageuse qui ne peut guère qu’évoquer un certain Tomás de Torquemada, de bonne mémoire chez tous les givrés de la Providence. Piété qui ne l’empêche pas de réveiller par des cris érotomanes non équivoques issus d’une vidéographie à caractère pornographique son voisin de droite, mais passons.
Or donc, le bonhomme, dont on supposerait que ses mœurs pourraient être adoucies par la musique, assène depuis trois semaines (retenez ce chiffre) la même chanson (retenez le même) à fond les bananes dès huit heures du matin. Elle passe en boucle.
Reprenons : imaginez que vous entendez TOUTE LA JOURNÉE, du matin au soir, la MÊME CHANSON (hideuse de surcroît, ce qui ne gâte rien). Lui semble s’en satisfaire. Moi, non. Tout chrétien que je proclame être, il y a des limites à tout. La solution : la mesquinerie. Je suggère de passer en boucle l’Ouverture 1812, du bon Tchaïkovski, celle dont lui-même avait dit dans une lettre à son frère : « Il y aura beaucoup de bruit, ça leur plaira beaucoup. » Qui dit mieux ?

Moi, j’aime la musique

J’entends les sarcasmes, les lazzi les quolibets d’ici, mais voilà, en ce moment j’écoute Les Frères Jacques. Voilà. Le dédain est passé ? la lippe a repris son caractère moins dédaigneux ? le regard s’est reposé de sa hausse vers les cieux ? le rictus condescendant s’est effacé ? Reprenons, donc.
Il s’agit d’un quatuor particulièrement habile à chanter les poètes et les chansons triviales, les romances pleines de nostalgie et les historiettes à tiroir, avec une fausse candeur parfaitement irrésistible, et par-dessus le marché avec une intelligence du texte absolue. C’est drôle, j’insiste là-dessus, et d’une vraie poésie, pour amateur de jeux de mots comme pour ceux qui aiment la belle langue. Hélas, et malgré le soutien de mon très cher et trop lointain Creaminal, qui ajoute à ses qualités celle de faire d’une bête page Internet une quasi-œuvre d’art, j’ignore comment caresser vos oreilles avec les très belles Bain, amour, etc. ou Les Fesses. Cependant, il va de soi que je serai d’un enthousiasme non dissimulé pour vous les envoyer, chers internautes, au premier cil levé.
Clôturons sur une citation de Lova Moor : « Moi, j’veux d’la musique, sur la peau, sur les ch’veux, dans la couleur de mes yeux. »

5.11.06

Le Grand Siècle

En ces temps de doute et d’effroi, de goutte et de froid, Callisthène me propose une petite bière au troquet d’usage. Quelques-unes plus tard, grisé par une conversation enivrante d’usage elle aussi, direction l’aventure...
Rue des Francs-Bourgeois, ancien hôtel particulier, à vue de nez XVIIIe siècle, escalier de prise de vue de cinéma, couloirs labyrinthiques et pièces immenses, hauteur de plafond indécente, moulures et parquet. Excentrique richissime toujours en voyage ayant logé Mnésippe et Antiope en ces lieux, ainsi que son amant, un grand type un peu bizarre, entre concierge et bite sur pattes, l’excentrique en question étant, bien entendu, bouddhiste, avec autel au fond de la pièce, soieries autour et bougies. Les dieux du cliché étaient décidément de la partie puisque la fée électricité ayant défailli, il a fallu passer la soirée aux bougies, dans ce décor de cinéma, façon capharnaüm des Enfants terribles.
Il va de soi que la conversation était bilingue, c’est le moins qu’on puisse faire dans ce genre d’ambiance aux ombres et chandelles. Rien n’y manquait donc,
y compris le feu de cheminée et les petites assiettes remplies de douceurs hispaniques : le dîner parisien n’est pas une fatalité.
Moralité ? Le Marais n’est pas juste cet endroit tape-à-l’œil pour nouveaux riches qui confondent comportement et consommation, les plus vieilles connaissances sont aussi celles qui sont les plus surprenantes, et comme
le dirait Mécistée, en acceptant toujours, on est étonné toujours.

4.11.06

Comme un soleil

D’où vient parfois que l’on peut soi-même se trouver si veule et si bas ? En dessous de tout, et en particulier en dessous de tout ce que l’on affirme, avec bonhomie ou de façon péremptoire, à qui veut l’entendre ? Pourquoi cette faculté à savoir que ce que je fais à un moment est parfaitement contraire à ce que le devoir, la raison ou le bon sens réclament ? Le plaisir que je peux prendre à rédiger telle ou telle conclusion de recherches stériles sur les duchés lombards et leur histoire postérieure, par exemple : voilà un sujet parfaitement stérile, dont je sais pertinemment que sa simple évocation auprès de qui que ce soit engendrera au pire une plaisanterie sur la confiture et la culture et au mieux une vanne ou deux, mais quoi qu’il en soit ne suscitera pas la moindre curiosité, celle que moi j’ai pu y porter au détriment de choses plus nécessaires.
À quoi bon passer une bonne partie de son existence dans ces abîmes de rien ? De quoi peut se plaindre un type comme moi ? Travail intéressant, vie amoureuse somme toute confortable à force d’y avoir trouvé ses repères, fréquentations plutôt enrichissantes, famille distante, santé et peau d’albâtre. Quel est alors ce sombre démon qui pousse la raison à se perdre dans la vanité, l’oisiveté et l’absurdité ? Y a-t-il quelque chose à faire contre la nonchalance, la complaisance ? Un club des introvertis qui perdent leur temps anonymes ? Comme j’admire et envie les raisonnables, les intelligents, les sensés ! Et quel donneur de leçon je suis avec un tel comportement inverse ! Qui saura sauver un pauvre pécheur de cette nature ?
Il va de soi que toute suggestion est bienvenue.

À la une, à la deux, à la trois...

Foin de tergiversations, une libellule m’ayant convaincu à moitié et mon hémisphère cérébral (droite ou gauche ? je ne sais jamais celui qui commande la raison et celui qui commande la bite) s’étant chargé du reste, je me décide
à écrire un belogue. Il n’est jamais trop tard pour bien faire, présumé-je alors, et si la mode semble avoir imposé cet exercice de style à chaque mortel disposant d’un accès à Internet, il n’y a pas non plus de raison particulière pour snober ce qui n’engage à rien qu’à un peu d’impudeur, de complaisance et tout ce qui s’ensuit de mise en danger. « Buaidh no bas », s’exclamaient quelques joyeux barbares il y a bien longtemps : c’est désormais un cri tatoué sur la poitrine d’un piètre rejeton qui n’ose plus le hurler, produit typique de ce beau pays si libre où chacun est prié de fermer sa gueule. N’en parlons donc plus !